Petrus, Jean Baptise Trương Vĩnh Ký , plus populairement connu sous le nom de Petrus Ký qui se désignait modestement sous l'appellation de Ô-Sĩ-TẤT (l'indigne lettré) et auquel l'Empereur Đồng-Khánh décerna le titre flatteur de Nam-Trung. N-S¸ (Homme de mérite du Sud et du Centre, éloigné des affaires) naquit le 6 décembre 1837 au village de Vĩnh-thành, canton de Minh-lý, huyền de Tân-minh, province de Vĩnh-long, en Cochinchine.
Dernier-né d'une famille de trois enfants, dont l'aînée, une fille, était morte en bas âge, il était fils d'un mandarin militaire du nom de TRƯƠNG CHÁNH THI. Ce père, il ne le connut, pour ainsi dire, pas; un an après sa naissance, ce dernier fut, en effet, envoyé en mission à la suite d'une ambassade annamite au Cambodge et y mourut.
Depuis lors, l'enfant grandit entre un frère, d'un an à peine plus âgé que lui, et une mère vouée à leurs soins, dans la triste solitude d'un foyer que prématurément le malheur avait visité.
A cinq ans, Petrus Ký fut placé chez un professeur de caractères chinois du village.
Son intelligence étonnante et son amour précoce pour l'étude le firent aussitôt remarquer.
Quand il eut neuf ans et qu'il commença à se familiariser avec les classiques chinois, un prêtre annamite que son père avait sauvé des persécutions, insista auprès de sa mère pour qu'elle le lui confiât.
Une voie nouvelle s'ouvrit pour le jeune Trương : il se mit à apprendre le Quốc-Ngữ puis le latin et peu à peu s'initia aux secrets de la culture occidentale qu'avec la religion chrétienne, les missionnaires français venaient d'introduire en pays d'Annam.
C'est d'abord au noviciat de Cái-nhum qu'il fit l'apprentissage de sa nouvelle vie.
Au bout de deux ans de séjour dans cette formation, ses maîtres l'envoyèrent au Séminaire de Pinhalu, au Cambodge.
Là, mis en contact avec des condisciples de nationalités très diverses, annamites, siamois, khmers laotiens, birmans, chinois et entendant parler les langues les plus variées, il sentit s'éveiller en lui une vocation de linguiste.
A quinze ans, Petrus Ký fut dirigé sur le Séminaire général des missions étrangères en Extrême-orient, établi dans l’île de Poulo-Penang.
Il y étudia le grec, et se perfectionna si bien en latin qu'un jour que le Gouverneur anglais avait mis au concours une dissertation dans la langue de Cicéron, c'est lui qui remporta, entre tous les élèves, le premier prix.
Mais l'incident le plus mémorable qui marqua son séjour à Poulo-Penang, ce fut sa prise de contact survenue, d'une façon inattendue, avec la langue française.
Ce jour là, il se promenait, comme à l'accoutumée, dans le parc avec d'autres camarades.
Tout à coup, son attention fut attirée vers le sol par une feuille de papier qui y traînait.
Il la ramassa et y voyant des lignes manuscrites, il se mit à la lire.
Il ne comprit rien, et pourtant, les caractères qui s'y inscrivaient n’étaient autres que des caractères latins qu'il connaissait.
Alors, avec la belle ténacité qui le caractérise, il se mit à déchiffrer ces hiéroglyphes nouveaux.
Il y parvint, et persuadé que ce papier était une lettre adressée à un de ses professeurs, il la lui remit avec la traduction libre qu'il en avait faite.
Son maître étonné et émerveillé tout ensemble, résolut de favoriser chez son jeune élève le développement d'aussi heureuses dispositions à s'assimiler les langues étrangères.
Il lui procura bientôt une grammaire et des textes français et Petrus Ký, poussé par un attrait irrésistible, s'adonna, avec plus d'ardeur et d'enthousiasme encore que pour les autres idiomes, à l'étude de cette nouvelle langue.
Ce devait être l'origine de cette carrière d'interprète dans laquelle il fit preuve, plus tard, de qualités exceptionnelles.
Petrus Ký ne s'en tenait d'ailleurs pas à l'étude du français, du grec, du latin et des caractères chinois; il apprit également l'anglais, le cambodgien, le siamois, l’hindoustani, le japonais au moyen de vieux journaux qu'il « collectionnait avec amour » !
En son temps, évidemment, les livres ne foisonnaient pas.
Bientôt sa scolarité à Poulo-Penang allait prendre fin et le moment était venu pour lui de décider de sa vie.
Ses maîtres eussent aimé le voir entrer dans les ordres, mais lui, sentit qu'il n'avait pas « ce feu intérieur qui décèle les vraies vocations apostoliques » .
La terrible nouvelle de la mort de sa mère lui parvint d'ailleurs, à ce même moment, et il n'eut plus qu'une pensée; regagner au plus tôt son village natal.
Il avait vingt et un ans.
Bien qu'il n’eût pu se décider à embrasser la carrière religieuse, il n'en continua pas moins à fréquenter les gens d'église.
On le vit, quelque temps, employé à l’évêché de Gia-định.
C'est alors qu'il se maria.
Désormais, le cadre de sa vie était tracé et son but précisé : consacrer toute son activité à l'étude et à la confection d'ouvrages susceptibles d'enseigner ses compatriotes.
Petrus Ký venait d'introduire dans la société annamite un type nouveau de lettré, imbu à la fois des antiques idéaux de l'Extrême Asie et des concepts modernes de la culture occidentale.
Toute sa vie féconde aura été consacrée à la bonne intelligence de la France et de l'Annam, « les deux uniques soucis de son existence ».
Le 1er septembre 1898, miné par une longue maladie, il s'éteignit doucement dans sa solitude de Chợ-quán, léguant à ses nombreux enfants et petits enfants, outre un nom respecté, les deux préceptes de morale, l'un oriental, l'autre occidental, l'un ornant le fronton d'une de ses publications, l'autre servant de titre à une de ses œuvres qui l'avaient guidé dans tous ses actes: paroles, faits et gestes :
« Thừơng bả nhát tâm hành chinh đạo »
(D'un cœur ferme, dirige-toi dans la voie droite)
et « Fais ce que dois, advienne que pourra ».
Petrus Ký avait 62 ans
Extrait de la Conférence faite au Grand Amphithéâtre de l’Université Indochinoise par M. LÊ-THÀNH-Ý, professeur au Lycée A. Sarraut